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La liberté d'association et d'engagement, essentielle au bon fonctionnement démocratique
dimanche 08 octobre
Claire Thoury Présidente du Mouvement associatif Membre du Conseil économique social et environnemental (CESE)
La France compte plus de 20 millions de bénévoles, c'est considérable, cela signifie que près d'1 Français sur 3 donne de son temps pour défendre une cause, porter un projet ou encore faire du lien. Dans un contexte de tension démocratique assez forte, d'une distance vive entre les citoyens et les institutions, d'une forte interrogation quant à l'efficacité de l'action publique, il apparaît plus qu'urgent de renforcer les corps intermédiaires et de renforcer le collectif et l'agir ensemble. Le bénévolat, autrement dit le fait de donner de son temps pour une mission, pour une cause, pour un projet, récemment défini par le CESE comme “l'action de la personne qui s'engage librement, sur son temps personnel, pour mener une action non rémunérée en direction d'autrui, ou au bénéfice d'une cause ou d'un intérêt collectif” (1), est au cœur du modèle social français. Profondément libre, l'action bénévole fait l'objet de beaucoup d'attention, d'envie aussi, parfois de peur. Pourquoi les gens s'engagent-ils ? Que cherchent-ils ? Que trouvent-ils ? L'action bénévole peut-elle être un remède ? Utilisée comme une réponse à tous les problèmes ? 1) La force associative La force associative est une force extrêmement puissante, les associations maillent le territoire, elles sont partout, force du premier et du dernier kilomètre, elles ont indéniablement un rôle à la fois social et politique. Un rôle politique d'abord parce qu'elles sont l'émanation des citoyennes et citoyens, des habitants, qui décident de se rassembler et de s'organiser pour faire ensemble quelque chose qu'ils ne pourraient pas faire seuls. En cela, les associations offrent des possibilités infinies précisément parce que leur cadre est un cadre de liberté. Faire association, c'est faire l'expérience du collectif, c'est travailler avec d'autres, négocier, construire selon des points de vue différents, c'est un exercice démocratique en soi de faire association. S'engager avec des gens que l'on ne connaît pas toujours, que l'on n'apprécie pas nécessairement, mais avec lesquels on partage une passion, une envie, une indignation qui nous rassemblent au-delà de nos différences. En cela, les associations sont au cœur du contrat social, structurantes dans les parcours des individus qui œuvrent au service du collectif. Faire association est une aventure de libertés absolument essentielle à notre démocratie. Un rôle social ensuite car les associations sont parfois les seules à intervenir dans certains territoires, à agir dans certains domaines, dans certains champs. Force du dernier kilomètre, elles couvrent des besoins non couverts précisément parce que notre modèle est non lucratif, que nos actions n'ont pas vocation à nous enrichir et que la rentabilité n'est pas ce qui guide nos espaces et domaines d'intervention. La force associative est aussi et surtout une force citoyenne, elle a cette capacité à capter la demande sociale au plus près des attentes. Elle apporte et construit des réponses concrètes, en adéquation avec les besoins des territoires ou des individus. Cet ancrage dans le réel lui confère une puissance considérable, une capacité à répondre aux besoins sociaux mais aussi une force d'innovation. A travers l'histoire, les associations ont inventé des espaces, des projets, des solutions : c'est le cas du Service civique, c'est le cas du SAMU social, c'est le cas des politiques du handicap, etc. A travers l'histoire, les associations ont fait émerger des sujets dans le débat public et contribué à construire l'action publique. Je pense par exemple à l'expérimentation Territoires Zéro chômeur de longue durée directement inventée par les associations. Cette capacité à innover et à inventer est grandement rendue possible par la force bénévole au cœur du modèle associatif. 2) Une interaction difficile avec les pouvoirs publics et une tentation dangereuse à la régulation Dans le même temps, les relations avec les pouvoirs publics se tendent. On observe une méconnaissance profonde de ce que sont les associations mais aussi de ce qu'est l'engagement ou plutôt de ce qu'il n'est pas. Ce point est intéressant à souligner car longtemps, l'engagement était perçu comme anecdotique voire concurrentiel aux études, envisageable uniquement dans certaines situations, rarement encouragé et quasiment jamais reconnu. Depuis quelques années, on observe une transformation du discours. L'engagement devient peu à peu intéressant, encouragé, perçu comme un apport dans le parcours d'un individu, comme une façon de créer du lien mais aussi comme un élément de différenciation. Dès lors, la tentation de l'institutionnaliser se fait sentir. Si l'engagement a ses vertus, pourquoi ne pas le généraliser ? C'est la question que pose certains représentants politiques et c'est la question qui entraîne les modules dits d'engagement obligatoires dans certaines écoles, c'est la question qui explique en partie la volonté de créer un service national universel. Sauf que l'engagement ne fonctionne pas comme cela. D'une part, l'engagement ne peut en aucun cas être obligatoire, lorsque je m'engage, je fais le choix de m'engager, je prends une décision. D'autre part, aborder l'engagement de cette façon revient à ne l'appréhender que partiellement. En effet, l'engagement a intérêt à être analysé dans une dynamique, dans une trajectoire mais le processus par lequel j'en viens à m'engager a presque autant d'importance que l'engagement lui-même. Réguler l'action associative ou l'engagement bénévole peut conduire à les lisser or, ce sont les divergences et les oppositions qui contribuent à faire bouger les lignes et traduisent une vitalité démocratique certaine. 3) Un bénévolat qui mute, à l'image des associations mais c'est bien ce qui fait notre force Le monde associatif est aussi traversé par une mutation du bénévolat qui, à l'image des associations, évolue. Si cette mutation est inhérente à notre modèle puisque les associations évoluent avec les individus qui les composent et qui évoluent eux-mêmes à l'image de la société, elle a des conséquences assez concrètes sur les organisations. Par exemple, on observe une diminution du bénévolat des séniors depuis plusieurs années maintenant mais cette tendance s'est accélérée avec la crise sanitaire. Dans le même temps, on observe une augmentation du bénévolat chez les plus jeunes, ce qui tord le cou aux discours faciles d'un désengagement de la jeunesse. Néanmoins, la façon de s'engager des uns diffère fortement de celle des autres. Les plus âgés ont largement investi le bénévolat que l'on appelle de gouvernance, ils occupent les fonctions de présidents, trésoriers, secrétaires, organisent la vie de l'association, etc. Les plus jeunes, quant à eux, cherchent un bénévolat de projets et la conduite d'actions concrètes. Comment faire pour renouveler les instances de nos associations ? Certains évoquent un statut du bénévole tandis que d'autres s'y opposent fortement. Le Mouvement associatif n'a pas tranché ce point mais il semble important de ne pas créer un dispositif qui avantagerait les plus privilégiés mais bien de penser un moyen de rendre le plus accessible possible le bénévolat. L'une des cibles à investir prioritairement pourrait être le bénévolat des actifs qui reste beaucoup plus faibles que celui des plus jeunes ou des retraités. Il serait intéressant d'ouvrir un débat plus large sur l'articulation des temps de vie et, comme le Mouvement associatif l'écrivait en réaction au report de l'âge légal de départ à la retraite, “de développer les mesures favorisant et facilitant l'engagement de tous ceux et celles qui le souhaitent : sensibilisation à l'engagement dès le plus jeune âge, politique de développement du volontariat associatif, remobilisation et valorisation des dispositifs existants de congés d'engagement, …” (3) Le bénévolat associatif est extrêmement puissant, on l'estime à 1,4 million d'ETP. Sans les bénévoles, la France aurait un tout autre visage et de nombreuses activités n'existeraient pas : de l'animation des clubs de sport aux actions de solidarité locale en passant par l'organisation de festivals, la distribution de colis alimentaires, l'organisation des comités des fêtes, les actions de sensibilisation à la transition écologique, des campagnes d'interpellation du grand public à des risques sociaux, environnementaux, sanitaires parfois en résistance avec les pouvoirs publics, etc. Cet apport du bénévolat à la société est difficilement quantifiable. D'abord parce que le bénévolat apporte aux personnes, il contribue à l'épanouissement et au bien-être individuel mais aussi collectif. Ensuite, parce que l'économie bénévole est une économie non marchande et parce que les richesses qu'elle produit ne s'évaluent pas avec les outils de mesure habituels.
(1) Avis CESE juin 2022, “Engagement bénévole, cohésion sociale et citoyenneté” rapporté par Marie-Claire Martel et Jean-François Naton (2) Observatoire régional de la Vie associative Hauts de France, Enquête sur l'engagement des retraités, CARSAT Hauts de France/ URIOPSS Hauts de France, février 2021, https://www.orva.fr/wp-content/uploads/2021/06/rapportfinalv1-5du1406.pdf
(3) https://lemouvementassociatif.org/retraites-et-benevolat-une-vraie-reflexion-est-a-mener/ |